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Retables baroques de Flandre

Maître-autel de l’église Notre Dame de la Crypte à Cassel
Maître-autel de l’église Notre Dame de la Crypte à Cassel

 

                La journée culturelle d'automne 2023 a eu lieu le samedi 7 octobre. Elle était organisée conjointement par notre Association des Amis du Musée Boucher-de-Perthes et la Société d’Émulation d'Abbeville autour du thème :

Retables baroques de Flandre française

 

              Les Amis de l'association "Sauvegarde des Retables de Flandre" nous ont conduits d'église en église dans la région de Cassel pour découvrir quelques beaux exemples de mobilier religieux "baroque", un style très décoratif.

 

         La question de la conservation et de la transmission du patrimoine culturel* a également été évoquée.

 

*Le patrimoine culturel désigne les artefacts, les monuments, les groupes de bâtiments et sites, les musées qui se distinguent par leurs valeurs diverses, y compris leurs significations symboliques, historiques, artistiques, esthétiques, ethnologiques ou anthropologiques, scientifiques et sociales. (définition de l'Institut de statistique de l'UNESCO, Cadre de l’UNESCO pour les statistiques culturelles, 2009)


    Belle météo et bonne ambiance. Les meilleures conditions étaient réunies pour que la journée soit réussie.

Monts de Flandre vus des hauteurs de Cassel.
Monts de Flandre vus des hauteurs de Cassel.
Eglise Saint-Martin d'Arnèke, vue sur l'orgue et la tribune.
Eglise Saint-Martin d'Arnèke, vue sur l'orgue et la tribune.

   La luminosité du ciel flamand nous a permis d'admirer sur les murs extérieurs des églises les couleurs contrastées des appareillages de pierres extraites des monts de Flandre (en grès ferrugineux) et des briques du pays.

    Grâce au généreux soleil, les décors intérieurs étaient également bien mis en valeur.

 

Notre première étape : la collégiale Notre-Dame-de-la-Crypte, à Cassel.

Collégiale Notre-Dame à Cassel
Collégiale Notre-Dame-de-la-Crypte, façade ouest.

        L’église de Cassel édifiée depuis le Xe siècle, a subi plusieurs destructions et transformations dont les murs gardent des traces bien visibles sur ces photos. Les éléments du XIe-XIIe, en grès ferrugineux apparaissent très sombres. Ultérieurement, l'église fut restaurée et agrandie en brique.

         C'est une "église halle" avec trois nefs de style gothique et une haute tour carrée au-dessus du chœur.

Collégiale Notre-Dame de Cassel, autel Louis XV, XVIIIe s.
Collégiale Notre-Dame de Cassel, autel Louis XV, XVIIIe s.

 

Pour la structure et le vocabulaire d'un retable, voir cette page : https://wemaerscappel.wordpress.com/une-page-sur-linterieur/le-retable-de-la-vierge/

        Le retable qui domine le maître autel était un bon point de départ pour expliquer le développement de ce mobilier religieux à partir du XVIIe siècle :

       Faste et décorum sont les caractéristiques du baroque, style encouragé par la "Contre-Réforme".

       Il s'agissait de manifester la puissance de la religion catholique par une mise en scène grandiose et des matériaux d'aspect luxueux. L'église catholique, en butte aux critiques du protestantisme qui gagnait de nombreux adeptes depuis le XVIe siècle, voulait démontrer  sa supériorité et imposer le respect aux fidèles en prouvant que ses représentants tenaient leur pouvoir directement de Dieu .

     Le majestueux arrière-plan avec ses colonnes à l'antique évoque des origines antérieures à celles des "religions réformées".

       En réaction aussi à l'interdiction du culte des Saints prêché par les protestants, la multiplication des retables et leur décor foisonnant rappelaient qu'une armée de saints intercesseurs et guérisseurs, béatifiés par Rome, pouvaient intervenir en faveur des croyants.

       Le goût pour cette "composition architecturale avec colonnes, corniches, frontons, niches où trônent les saints, voûtes où jouent les angelots..."* perdure jusqu'au XIXe.

  * in ARCHITECTURES et TRÉSORS des ÉGLISES de FLANDRE par Geneviève DUPREZ / Association Retables de Flandre.


     Ci-dessus, quelques détails du maître-autel  : l'autel-tombeau galbé est en marbre, les parements de chaque côté du tabernacle sont en bois.

 

     La collégiale compte 4 retables secondaires. Celui du nord (photo 2) est dédié à la Vierge.


 

       L'orgue a été modifié en 1821, c'est ce que nous révèle le chronogramme caché dans l'inscription latine (il faut additionner les lettres en majuscule  : M+D+3C+3V+6I). Elle se traduit par «Les orgues chantent par les dons des citoyens».

        Les deux grandes statues représentent le Roi David avec une harpe, et sainte Cécile, patronne des musiciens, avec un orgue portatif.

 

 

 

      Le repas, flamand, nous fut servi dans un cadre très agréable.

 

Retrouvez tous les détails vus et expliqués par notre guide dans le diaporama du Cercle d'histoire de Cassel, mis gracieusement à notre disposition.


 

           Wemaers-Cappel, église Saint-Martin.

 

    Le  site entièrement consacré à cette église est tellement complet que je vous y renvoie :

https://wemaerscappel.wordpress.com/

    Pour tout savoir de la composition et du vocabulaire des retables, voyez en particulier

la page dédiée à l'autel de la Vierge ...

 

Quelques observations complémentaires :

 

     La photo de la sobre façade occidentale ci-contre montre l'évolution de l'architecture de l'église. D'abord élevée en grès ferrugineux au XIIe siècle, elle a été agrandie et embellie après la révolte des Gueux. En 1610, des décrets instaurèrent la levée d’impôts pour financer ces reconstructions.

     Remarquez la porte du XIIe siècle et le chemin de brique  du XVIIe.

 

       Observez dans le ciel une bande de corvidés dérangée par notre présence.  Notre guide, René Charlet de l'association des Retables de Flandre, rédacteur du blog wemaerscappel, nous les a signalés comme étant un danger pour la bonne conservation des monuments. En effet ils s'attaquent aux joints dont le mortier comporte des substances utiles pour eux. Les briques ainsi descellées tombent et provoquent d'autres dégâts en chaîne : tuiles cassées, fuites...

 

 


Ci-dessous, nos photos du maître autel :

      Les explications autour du maître-autel (photo 1) nous ont sensibilisés à un autre danger menaçant les églises à retables. Étant passés derrière le décor par  la petite porte de droite nous avons découvert la structure du retable (photo 2), toute en bois -y compris les colonnes- et donc sensible à l'humidité, aux écarts de température et aux xylophages...

       Sur la photo 3 vous apercevez à l'arrière droit du Christ deux petites fenêtres qui apportent de la lumière (il y en a 2 autres à gauche) et mettent en relief la partie centrale.

        La porte gauche (photo 4) recèle un chronogramme qui date ce retable de 1701.

 

    Ci-dessous, le retable sud (classé Monument Historique).

   Notre guide nous montre les dégâts causés par les xylophages sur les statues creuses en bois tendre. La conservation de la statuaire est aussi un gros problème.

Autel de Saint Blaise 

 Transcription du cartel

     Retable à une seule travée, daté de 1748, bois peint en faux marbre.

     Dans la niche centrale, saint Blaise avec son attribut le peigne à carder.

    De part et d'autre, saint Nicolas et saint Eloi.

     La niche du fronton abrite saint Antoine l'ermite.

      Ainsi, plusieurs saints guérisseurs sont ici rassemblés.   

      Sur le mur de droite, un tableau évoque un miracle de saint Blaise. La dévotion au saint repose ici sur la possession de reliques disparues au XVIe siècle ou au XVIIe siècle. La paroisse se procure de nouvelle reliques en 1735. Le culte rendu au saint est renforcé par un fait jugé miraculeux survenu en 1757 et raconté sur le tableau.

     Sous l'autel: une Mise au tombeau. Bas relief d'Adrien Stinte - 1517

Ici git don Adrien Stinte né à Bergues, moine profès et prêtre de ce monastère Saint-Winoc qui mourut en l'an 1517.


 

Un autre site http://www.BellesEglises.com propose une notice sur l'église Saint-Martin de Wemaers-Cappel à la page https://belles-eglises-static.vercel.app/eglises/345

 

 

           Notre dernière étape : Arnèke, église Saint-Martin.

 

 

        Après le déjeuner, sous la conduite dynamique de Mme Aïda Tellier, de l'association Sauvegarde des Retables de Flandre, nous visitons l'église d'Arnèke au mobilier particulièrement remarquable. 

        C’est un édifice assez grand de type "hallekerke". Les trois nefs parallèles d’égale hauteur se  terminent par des absides à pans. La tour, haute de 30 mètres, est l’une des plus importantes de la région.

           L'église Saint-Martin a été reconstruite en 1609 après les ravages causés par les Gueux dans la seconde moitié du XVIe siècle.

 

 Documentation : article de  Philippe Seydoux sur le site dédié :

https://www.sauvegardeartfrancais.fr/projets/arneke-eglise-saint-martin/

et https://www.sauvegardeartfrancais.fr/wp/wp-content/uploads/arneke.pdf

 

 Autres photos sur le site

https://monumentum.fr/monument-historique/pa59000116/arneke-eglise-saint-martin


Maître-autel de saint-Martin d'Arnèke, cul de four.
Maître-autel de saint-Martin d'Arnèke, cul de four.

         L'église Saint-Martin d'Arnèke possède cinq retables datant de la fin du XVIIIe et du XIXe.

 

       Le maître-autel en bois doré, rehaussé de miroirs, est magnifié par un retable monumental qui se développe sur tout le chœur, y compris sur les parois du cul de four (photo ci-contre). C'est un "retable lambris".

         Le personnage intercesseur est Charles Borromée, évêque, neveu du pape Pie IV, cheville ouvrière du concile de Trente (plusieurs sessions de 1545 à 1563) qui édicta des règles pour réformer l’Église catholique.  La volonté demeure d'en imposer par un déploiement de luxe soulignant la puissance de l'Eglise.

      L'ensemble est d'un travail soigné, finement sculpté, les lignes élégantes toutes en courbes sont soulignées de guirlandes dorées.  Le chœur est fermé par une grille en fer forgé de belle qualité.

 

Arnèke - Retable-lambris XVIIIe s.
Arnèke - Retable-lambris XVIIIe s.

       Les photos ci-dessus montrent la disposition des 5 retables :

  • le maître autel au centre (photo de gauche),
  • deux autels secondaires placés de part et d'autre du chœur dans les nefs latérales (photo en haut à droite).
  • deux autels dédiés à un saint local et à un épisode de la passion contre des piliers, au centre de l'église (photo en bas à droite). 

      Les autels des chapelles terminant les collatéraux  sont datés de 1715 et soulignés de colonnes torses. Celui du nord, comme toujours, est dédié à la Vierge. Celui du Sud dédié à Saint Nicolas resté dans la niche supérieure, puis au Sacré-cœur.

        Plus bas dans la nef se trouve un autel dédié au très vénéré Saint Gohard. Tous les ans en mai, une neuvaine est organisée pour qu'il "intercède auprès de Dieu en faveur des malades, qu'ils souffrent des os, de rhumatismes, du cancer, de la leucémie ou du sida" (réf).

Retable latéral droit de l'église Saint-Martin d'Arnèke, autel de St Gohard.
Retable latéral droit de l'église Saint-Martin d'Arnèke, autel de St Gohard.

 

       Beaucoup d'autres œuvres magnifiques en bois sculpté meublent cette église.

        La chaire monumentale, datée de 1780, a été sculptée par François Spillemaker. Sur la cuve figurent les apôtres et sur la magnifique rampe ajourée se déroule l'histoire de Jonas.

      Deux remarquables confessionnaux de François Spillemaker sont inclus dans un lambris entièrement sculpté qui enveloppe toute l'église, l'ensemble est spectaculaire. Les gardiens de la mise au tombeau sont exceptionnels.

Le buffet d’orgue, date de 1771, les vitraux sont du XIXe.



 Textes et photos : JH, Amis du Beffroi Musée Boucher-de-Perthes-Manessier, sauf mention contraire.

 

Sources :

Architectures et trésors des églises de Flandre, un beau livre illustré de Geneviève DUPREZ, édité par l'Association Retables de Flandre

https://retablesdeflandre.fr/textcollectif.html

https://www.sauvegardeartfrancais.fr/projets/arneke-eglise-saint-martin/

https://wemaerscappel.wordpress.com/

 


 Le contexte

 L'histoire et la géographie expliquent pourquoi le décor intérieur des églises de ce territoire est particulièrement marqué par le style baroque.

         Le Comté de Flandre, lors de sa création au IXe siècle, est situé entre le royaume de France et le  Saint Empire germanique. Dans la deuxième partie du XVIe siècle, les problèmes de succession, les difficultés politiques et religieuses se succèdent dans les Pays-Bas espagnols dont dépend la Flandre. Elles provoquent des guerres et des destructions, en particulier au moment de la révolte des "Gueux".  Ceux-ci s'en prennent directement aux églises et au mobilier religieux qui doivent être remis en état à la suite de tous ces saccages. C'est alors que le style baroque s'y développe.

Voir chronologie ci-dessous.

 

 Quelques repères historiques généraux par Jean-Jacques Becquet, président de la SEA :

 

- 1545 - 1563 : tenue du Concile de Trente, début de la Contre-Réforme. - 1562 - 1598 : huit guerres civiles se succèdent, désignées comme guerres de Religion.

- 1566 : prémices de la Révolte des Gueux, guerre civile opposant les sept provinces du Nord protestantes et les Pays-Bas méridionaux catholiques.

- 1568 - 1648 : guerre de Quatre-vingts Ans, soulèvement des Pays-Bas contre la monarchie espagnole.

- 1618 – 1648 : guerre de Trente Ans (1618-1648).

- 1648 : traités de Westphalie. Reconnaissance des Provinces-Unies comme état indépendant. Les Pays-Bas du Sud, dont Artois, Flandre et Hainaut restent sous domination espagnole.

- 1665 – 1668 : guerre de Dévolution opposant Louis XIV à l’Espagne et ses possessions de Flandre et de Franche-Comté.

- 1668 : paix d’Aix-la-Chapelle. Onze places fortes d’Artois, Flandre et Hainaut deviennent françaises : Lille, Douai, Tournai, Charleroi, Ath, Binche, Courtrai, Bergues, Friges, Audenarde et Armentières.

- 1673-1678 : guerre de Hollande menée par Louis XIV contre les Provinces-Unies, puis l’Espagne.

- 1678 : paix de Nimègue. Douze nouvelles places fortes, dont Valenciennes, Saint-Omer, Ypres, Cassel, Cambrai. Vauban fortifie la plupart d’entre elles.

- 1688-1697 : guerre de la Ligue d’Augsbourg opposant Louis XIV aux États protestants et l’Angleterre.

- 1697 : paix de Ryswick. La France s’incline devant l’Angleterre, l’empereur et les princes allemands. La possession de l’Alsace avec Strasbourg est cependant reconnue à la France.

- 1701-1714 : guerre de Succession d’Espagne mettant aux prises Louis XIV et la Grande Alliance de La Haye réunissant l’Angleterre, les Provinces-Unies, l’empereur et la plupart des princes allemands.

- 1713- 1714 : paix d’Utrecht, entre France et nations coalisées, et paix de Rastatt, entre France et Empire, établissent un ordre précaire en Europe.

 

Quelques dates concernant les lieux visités : 

 

- 1566 : l’intérieur de l’église Saint-Martin d’Arnèke est détruit pas les Gueux.

- 1677 : bataille de La Peene et prise de Cassel par les troupes françaises conduites par Philippe d’Orléans, frère du roi, contre l’armée de Guillaume d’Orange.

- 1678 : traités de Nimègue. Cassel devient définitivement française.

- 1701-1707 : édification du retable central de l’église Saint-Martin de Wemaers-Cappel.

- 1740-1748 : édification des retables secondaires de l’église Saint-Martin de Wemaers-Cappel.