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Le Moulin Quignon - La nouvelle actualité de Boucher de Perthes

 

         "Haut lieu de l’archéologie mondiale, la vallée de la Somme a joué un rôle majeur dans la reconnaissance de la Préhistoire par la communauté scientifique, française et internationale, dans la seconde moitié du XIXe s.

     De nombreux sites paléolithiques y ont été découverts et fouillés, confirmant la coexistence d’animaux disparus et d’industries lithiques humaines incluant de  nombreux bifaces."

in Abbeville, Carrière Léon par Jean-Jacques Bahain


 

                                                        Retour aux racines de la préhistoire.                                               

 

         Le Moulin-Quignon est l’un des sites sur lesquels Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), considéré comme un des pères de la préhistoire, a travaillé au XIXe siècle. Il y avait découvert des bifaces, des pierres taillées sur les deux faces, lui confirmant l'existence d’un homme préhistorique. Ne manquait qu'un fossile humain pour convaincre les scientifiques du bien-fondé de ses théories.

          Malheureusement pour sa propre réputation et pour la crédibilité du site, il y a effectivement "découvert" une mâchoire humaine prétendument associée à la couche archéologique. Lorsque l'examen scientifique de la mâchoire eut révélé la supercherie, cela jeta un voile de suspicion sur l'ensemble de son travail et des sites abbevillois.

 

             Récemment des scientifiques du CNRS ont entrepris de revoir l'ensemble des travaux menés à la fin du XIXe et au début du XXe sur les sites d'Abbeville.

           En 2015 et 2016, Ils firent d'abord des relevés à la "Carrière Carpentier", facilement accessible car propriété de l'Etat depuis 1938 (Route de Doullens, Abbeville).

          Les résultats des prélèvements permirent de penser qu’au moins une partie du matériel lithique récolté par Boucher de Perthes provenait bien de niveaux fluviatiles datés d’environ 600 000 ans sur le site voisin dit du Moulin Quignon, très proche mais plus ancien que la Carrière Carpentier. Ces pièces constitueraient ainsi les plus anciens témoignages d’une présence humaine dans la vallée.  Il fallait vérifier...

 

            C'est pourquoi ils entreprirent de nouvelles fouilles au "Moulin Quignon", suivant les indications trouvées dans les archives de Boucher de Perthes. Et ils y ont bel et bien trouvé en 2016 et 2017 des objets fabriqués par l'homme à plus de 4 mètres de profondeur.

          Ce sont les plus anciennes traces de l'homme préhistorique dans cette partie de l'Europe. Ils datent d'environ - 650 000 ans, c'est à dire du paléolithique inférieur.

               Cela confirme que Jacques Boucher de Perthes avait raison !

cf  Reexamen_du_contexte_geologique_chrono- et biostratigraphique du site de Moulin_Quignon a Abbeville Vallee de la Somme France.

 

Boucher de Perthes et le Moulin Quignon

Gravure représentant le Moulin Quignon avant 1872 /  © Bibliothèque municipale d'Abbeville
Gravure représentant le Moulin Quignon avant 1872 / © Bibliothèque municipale d'Abbeville

Moulin Quignon [...] à Abbeville, près duquel M. Boucher de Perthes a découvert une grande quantité de silex taillée et une mâchoire de l'homme antédiluvien.

Le moulin a été démoli en 1872.

 

*cf Boucher de Perthes and the Discovery of Human Antiquity Article Jan 2014 James Sackett.

Légende du dessin : Mâchoire humaine fossile trouvée à Moulin Quignon-lès-Abbeville par M. Boucher de Perthes, le 28 mars 1863. Pl. III. - Tiré d'un volume intitulé "De la mâchoire humaine du Moulin Quignon : nouvelles découvertes en 1863 & 1864 par M. Boucher de Perthes".© BM Abbeville, Collection Macqueron

       

       Il y avait à Abbeville, jusqu'en 1872, une butte surmontée d'un moulin ayant appartenu à un certain M. Quignon.

       Avant que cette colline ne fut à son tour exploitée comme carrière, les ouvriers découvraient depuis de nombreuses années des haches de pierre polie dans les carrières abbevilloises, comme celles dites de "la Portelette" et du "Banc de l'Hôpital". 

        Boucher de Perthes, directeur des douanes à Abbeville, suivait ces découvertes avec passion. Le contexte des idées scientifiques de son temps, l'amenèrent à devenir l'un des pionniers des recherches sur les hommes préhistoriques.

 

        Il fallut cet autodidacte non formaté par les règles académiques, «le scientifique le plus chimérique et insaisissable que l’on puisse imaginer*», un imaginatif obstiné, pour oser passer outre les «vérités» officielles et imposer  la reconnaissance de l’existence d’hommes contemporains d’espèces animales disparues.

*cf Boucher de Perthes and the Discovery of Human Antiquity Article Jan 2014 James Sackett.

 

           Il fallut aussi qu'un jeune savant, Casimir Picard, membre de la Société d’Émulation d'Abbeville présidée par Boucher de Perthes, l'intéresse à ses fouilles et à ses conclusions. A la mort de Picard, le néophyte devient le plus virulent des défenseurs de l'"homme antédiluvien".       

 

        Les thèses de Boucher de Perthes sur l'homme "antédiluvien", ne furent reconnues qu'en 1859. Sa victoire  fut totale en 1863 grâce à la découverte de la fameuse mâchoire fossile du Moulin Quignon**.

        "Fossile" qui se révéla par la suite être une  mâchoire d'homme médiéval. Très fâcheux pour la réputation posthume de notre concitoyen ! et par contagion de celle des sites fouillés à Abbeville. Celui du Moulin Quignon  en particulier jouit d'une notoriété équivoque dans l'histoire de la Préhistoire.

 ** Voir Sophie A. De Beaune, Antoine Balzeau. La Préhistoire.. CNRS Éditions / Dargaud, pp.200, 2009,  Chroniques de l’Homme. <halshs-00721195>  (pp 12-13)


 

La «mâchoire de Moulin-Quignon», un des mythes fondateurs de la préhistoire

une "fake news" du XIXe siècle !

 

D'après l'article de Claudine Cohen in Comptes rendus hebdomadaires des séances de l'Académie des sciences

      "Les Antiquités celtiques et antédiluviennes"  n'avaient suscité que scepticisme car les dessins d'objets "antédiluvuens", peu précis, laissaient souvent des doutes quant à leur authenticité.

       Boucher de Perthes dut se battre des décennies durant pour faire admettre par l'Académie des Sciences ses idées sur l'ancienneté de l'homme. Ce qui fut fait en  1859.

          Cependant, il n’avait toujours pas pu produire la preuve absolue : des ossements humains associés aux pierres taillées.

         Boucher de Perthes promit alors aux ouvriers-carriers une prime de 200F à qui découvrirait un os humain. Par une fabuleuse coïncidence, dès le printemps 1863, une dent puis une mâchoire humaine sont découvertes près de haches en silex, dans la carrière de Moulin-Quignon. Il raconte :

        "Le 23 mars, l’un de ces terrassiers, Nicolas Halattre, m'apporta dans une masse de sable deux haches en silex trouvées à 4 m,50 de profondeur. A 15 centimètres plus bas … était, dans ce même sable, un fragment d'os … qu'après avoir dégagé de sa gangue je reconnus pour une dent humaine … Arrivé sur le banc, … j'aperçus, dans la couche noire, le bout de l'os …  ;  je pus le tirer de son lit sans le rompre, et, malgré une masse de sable qui y adhérait, je reconnus la moitié d'une mâchoire humaine."

        Boucher de Perthes accepta sans critique cette découverte, trop heureux de voir confirmer ses thèses sur l’existence de l’homme fossile par la découverte de restes humains associés à des pierres taillées. D'ailleurs à l'époque, le seul fossile humain connu était la calotte de Néandertal, elle-même encore discutée. Personne ne savait à quoi pouvait ressembler un homme préhistorique.

          La nouvelle découverte est rapidement connue et obtient un grand retentissement dans les milieux savants et dans le public.  L'ironie du sort a voulu que cette preuve enfin admise par l'académie des sciences soit une mâchoire humaine par la suite identifiée comme un faux.

         Le site de Moulin Quignon, entre réputation de fraude, disparition des découvertes et perte des données, fut oublié. Son emplacement est désormais occupé par des immeubles.

Nouvelles fouilles d'Abbeville sur le site du Moulin Quignon

 

           En 2016 et 2017, une équipe de spécialistes de l'INRAP, du CNRS et du MNHN ont effectué des fouilles géologiques et archéologiques sur le site du Moulin Quignon, aujourd'hui nommé Quartier de l'Espérance, à Abbeville.

 

             Ils ont réussi à localiser l'ancien site préhistorique fouillé il y a environ 160 ans par Jacques Boucher de Perthes. Ils voulaient confirmer ses hypothèses et dater le site plus précisément qu'on ne pouvait le faire à l'époque de la découverte.

        A plus de 4 mètres de profondeur, dans une couche géologique datée d'environ 600 à 700 000 ans ils ont retrouvé une dizaine de silex taillés attestant une présence humaine. C'est la plus ancienne trace en Picardie, et sans doute au nord de la France.

 

 


           Les Abbevillois sont venus nombreux assister le 24 avril 2018 au compte rendu par deux des scientifiques et à la présentation du documentaire de Laurent Lapo. L'assistance a apprécié la clarté des explications et la gentillesse des scientifiques qui ont répondu aux questions avec simplicité et patience.

            Le documentaire de TV Baie de Somme était un excellent résumé illustré, clair et concis, des deux campagnes de fouilles. M. Lapo nous communiquera un lien pour le revisionner, il pourrait être disponible ici  dans quelque temps.

 

      Pierre Antoine du laboratoire de géographie physique du CNRS et Jean-Jacques Bahain du Muséum national d'Histoire Naturelle lors de la conférence


Fouilles archéologiques dans le quartier Espérance

Premiers sondages :  Octobre 2016

 

Octobre 2016, sondages au "Moulin Quignon" / Photo Mairie d'Abbeville
Octobre 2016, sondages au "Moulin Quignon" / Photo Mairie d'Abbeville

       Du mardi 18 au jeudi 20 octobre 2016, des archéologues ont effectué une grosse dizaine de sondages au cœur du quartier Espérance.

         Et ce fut un succès !   Dès le deuxième trou naît un espoir : deux éclats de silex taillés par l'homme sont découverts.  Au treizième sondage, les fouilleurs sortent de terre plusieurs éclats importants dont un "nucleus", gros bloc de silex préparé pour fabriquer un outil.

       Pourquoi cette découverte est-elle importante ?

     Parce que, trouvés à plus de 4 mètres de profondeur, ces objets sont les plus anciennes traces de l'homme préhistorique trouvés dans cette partie de l'Europe. Ils datent de - 650 000 ans, peut-être 700 000 ans, soit du paléolithique inférieur.


 

Le chantier de fouille d'avril 2017

 

Fouilles sur le site du "Moulin Quignon", avril 2017 / Photo Jacques Rouèche
Fouilles sur le site du "Moulin Quignon", avril 2017 / Photo Jacques Rouèche

      La municipalité d'Abbeville a joué un rôle important dans cette aventure. En signant un partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle, en libérant les terrains nécessaires, en prêtant du matériel et en assurant la sécurité du chantier.

 

       Forts de ces premiers résultats prometteurs, les scientifiques et la ville d'Abbeville se sont mis d'accord pour entreprendre un grand chantier.  La réhabilitation d'un espace vert sur le lieu même décrit par Boucher de Perthes était une occasion à ne pas manquer.

            En avril 2017, les nouvelles fouilles ont donné de très bons résultats. Des outils en silex ont été exhumés, ils comptent parmi les plus anciens du bassin de la Somme. Les observations stratigraphiques confirment les notes du premier préhistorien.

            Les deux conférenciers et leurs équipes préparent la publication des résultats de ces fouilles. Ils nous ont assurés qu'elles auront probablement un écho scientifique international car elles vont permettre d’avancer dans la connaissance de l’histoire de l’humanité.

 


         « C’est un jalon très important », apprécie Jean-Luc Locht, archéologue à l’Inrap. Il montre que l’homo erectus, arrivé d’Afrique il y a un million d’années, avant de coloniser peu à peu l’Europe, est passé par la vallée de la Somme, il y a près de 700 000 ans. En ce début de période glaciaire, le paysage devait être moins boisé qu’aujourd’hui, ressemblant peut-être à une steppe, avec un climat plus continental. Cet homo heidelbergensis, qui devait mesurer environ 1,60 m, avec des arcades sourcilières proéminentes et un menton fuyant, était un nomade, un chasseur-cueilleur, se déplaçant en suivant les migrations du gibier. L’ancêtre des Picards était à Abbeville."

cité in http://www.courrier-picard.fr/archive

Diapositives de la conférence du 24/04/2018


Crâne de l'homme de Tautavel / Par Original téléversé par Luna04 sur Wikipedia français / Commons., CC BY-SA 3.0
Crâne de l'homme de Tautavel / Par Original téléversé par Luna04 sur Wikipedia français / Commons., CC BY-SA 3.0

Les archéologues pourront-ils jamais retrouver une "mâchoire" à Moulin-Quignon ?

 

            
Il y a 650 000 ans environ, des hommes préhistoriques taillaient donc bien du silex à l'endroit où se tient aujourd'hui le quartier Espérance. C'étaient des hommes du type "Homo Heidelbergensis", comme l'homme de Tautavel. 

     La question d'éventuels fossiles humains a été posée aux conférenciers. Leur verdict est sans appel. Pour des périodes aussi reculées et dans ce milieu complètement ouvert, sans le moindre abri favorisant leur conservation, il ne sera jamais retrouvé de restes humains dans notre région.

 


      La preuve exigée de Boucher de Perthes ne pouvait absolument pas être fournie. Malheureusement dans le contexte de l'époque, l'archéologue amateur n'avait suffisamment de formation ni de rigueur scientifique  pour imposer ses travaux sans exhiber un fossile.

 

       2018, 150e anniversaire de la mort de Jacques Boucher de Perthes se présente comme une excellente occasion de  réhabiliter sa mémoire et de mettre en valeur la place prépondérante que toute la vallée de la Somme occupe dans la Préhistoire.


 

 En savoir plus sur les fouilles du Moulin Quignon

 

Lire sur le site de France-Culture le compte rendu des deux archéologues responsables des dernières fouilles sur le site du Moulin Quignon :

https://www.franceculture.fr/emissions/carbone-14-le-magazine-de-larcheologie/fouillons-sous-la-pluie-la-recherche-de-lhomme

Émission du 6/05/2017


Jacques

BOUCHER DE PERTHES

était sur France culture

dans l'émission

La fabrique de l'histoire.

 

     Agathe Jagerschmidt, conservatrice, et le journaliste Victor Macé de Lepinay  parlent de Jacques Boucher de Perthes, et bien sûr du Musée Boucher-de-Perthes. Ils évoquent en particulier la controverse de Moulin Quignon.

 Vous l'avez manqué ? Pas de problèmes, vous pouvez l'écouter ci-dessous ou sur le site de France Culture, ici.

Agathe Jagerschmidt intervient à partir de 12mn 45


Quoi de neuf à la Préhistoire ? (2/4) Un os dans le silex. La redécouverte de Moulin-Quignon

Émission La fabrique de l'histoire, 31/01/2017

Sur les traces des premiers peuplements acheuléens en Europe de l’Ouest

Pierre ANTOINE et Marie Hélène MONCEL interviennent Samedi 6 mai 2017 à 19H30 dans l’émission « Carbone 14 » sur France Culture. Ils parlent de leurs nouvelles recherches dans la région d’Abbeville.

 

Lire ici : http://www.lgp.cnrs.fr/spip/spip.php?article232


 

Un colloque est en cours de programmation pour novembre 2018.