Œuvre du mois février 2016, une estampe d’Émile Rousseaux

Emile Rousseau, étude, milieu XIXe siècle, cuivre gravé, Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville/ in peccadille.net
Emile Rousseau, étude, milieu XIXe siècle, cuivre gravé et son tirage, Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville/ Document Musée

 

Œuvre du mois 10

le 12 février 2016, 18h 

    

Une plaque de cuivre gravée et son tirage papier.

 

par

Johanna Daniel,

spécialiste de la gravure, chargée de cours à l’École du Louvre.

 

Copie par Émile Rousseaux d'un fragment de la thèse de Colbert de Croissy, gravé en 1680 par Gérard Edelinck, d’après Le Brun, burin sur cuivre.

Agathe Jagerschmidt, directrice du musée et Johanna Daniel, conférencière du jour
Agathe Jagerschmidt, directrice du musée et Johanna Daniel, conférencière du jour

      La conférence donnée par Johanna Daniel, enseignante à l’École du Louvre, spécialiste de l'estampe a connu un grand succès. La présentation de cette plaque de cuivre sous la forme d'une enquête pleine de surprises a séduit le public. 

 

Retrouvez l'intégralité de l'enquête et  tous les documents présentés 

sur la page du site de la conférencière en suivant ce lien :

 Mystérieuse matrice au Musée d’Abbeville.

 

Le compte-rendu ci-dessous reprend de larges extraits de son billet :

Emile Rousseau, étude, milieu XIXe siècle, cuivre gravé, Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville/ in peccadille.net
Emile Rousseau, étude, milieu XIXe siècle, cuivre gravé, Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville/ in peccadille.net

    

   Sur proposition de Mme Jagerschmidt, directrice du musée Boucher-de-Perthes d'Abbeville, Johanna Daniel a sélectionné dans le fonds abbevillois "une planche de cuivre assez bien conservée et plutôt mystérieuse : un grand cuivre apparemment inachevé, où figurent un homme nu allongé, un lion, trois mulots et un melon". 


     Le personnage maintient une grande draperie où se devinent difficilement quelques éléments de décor, il regarde vers le haut. Un élément devrait donc le surplomber dont, au début de l'enquête, nous ignorons tout.

    La facture du corps masculin évoque le XVIIe siècle. Le burin est classique et maîtrisé, typique de l’École Française du Grand Siècle. Ce genre de figure est typique des encadrements gravés du XVIIe siècle autour d’un almanach ou d’une thèse produite sous le règne de Louis XIV. Cependant un doute subsistait sur cette datation.

     Identifier cette œuvre a été une aventure pleine de rebondissements, que la conférencière nous a racontée avec une vivacité réjouissante.

Emile Rousseaux, estampe d'après Edelinck, Musée Boucher-de-Perthes / Photo Yvan François
Emile Rousseaux, estampe d'après Edelinck, Musée Boucher-de-Perthes / Photo Yvan François
Edelinck d’après Le Brun, Thèse de Colbert de Croissy, burin, 1680, tirage du Rikjsmuseum
Edelinck d’après Le Brun, Thèse de Colbert de Croissy, burin, 1680, tirage du Rikjsmuseum / in pecadille.net
Thèse de Colbert de Croissy par Edelinck, détail dont s'est inspiré Emile Rousseaux
Thèse de Colbert de Croissy par Edelinck, détail dont s'est inspiré Emile Rousseaux

 Pendant cette enquête, la conservatrice du musée poursuit ses recherches dans les collections du musée. Elle trouve un tirage de la matrice (illustration ci-contre) où figure un nom : Émile Rousseaux.

    Avec cet indice et après beaucoup de recherches, Johanna Daniel découvre l’existence d’un article dans le bulletin de la Société d’Émulation d’Abbeville publié en 1873, numérisé sur Gallica BNF. Émile Delignières y rend hommage à Émile Rousseaux* (Abbeville 1831- Paris 1873).

    Celui-ci s'avère être un graveur du XIXe siècle, fils d’un menuisier-ébéniste, né en 1831 à Abbeville. Il fréquente l’école de dessin municipale et se révèle si doué que la ville lui accorde une subvention pour aller étudier à l’école des beaux-arts à Paris.

       Il y apprend la gravure au burin, dite taille douce, très utilisée aux siècles précédents pour reproduire et diffuser les tableaux et les portraits. Elle a atteint son apogée sous le règne de Louis XIV, c'est pourquoi Émile Rousseaux s’applique à copier les graveurs du XVIIe siècle, les maîtres du « Beau Burin ». Mais au milieu du XIXe s. cette technique, concurrencée par de nouveaux moyens plus rapides et moins onéreux, semble vivre ses dernières heures.

     Cette matrice appartenait probablement aux travaux que l'apprenti graveur a réalisés pour se préparer au prix de Rome de gravure.

      Il s'agit de la copie un fragment d’une gravure de Gérard Edelinck (1640/1707), un des plus fameux graveurs du XVIIe s, d'après une composition originale de Charles Le Brun, illustrant la thèse** de Charles Colbert de Croissy (le frère cadet de Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV).


 Si, malgré ses efforts, Rousseaux ne fut pas admis au concours, il devint tout de même un bon graveur : il y a de belles pièces à son catalogue malgré sa courte carrière, comme ce portrait de la Marquise de Sévigné. Mais l’évolution technique et le goût étaient devenus défavorables à de tels graveurs traditionnels au burin. Cette matrice représente donc aussi la fin d’un monde…

 

* A propos d’Émile Rousseaux, lire l'article rédigé par Johanna Daniel sur Wikipédia.
** A l'occasion de la parution de leur thèse, les auteurs pouvaient commander de grandes estampes, parfois composées par des artistes en vue et gravés par des interprètes de talent, pour garder la trace de l’événement.

 

Une des plus célèbres de Rousseaux : le portrait de la Marquise de Sévigné, gravé en 1874 au burin, chalcographie du Louvre (tirage de l’ENSBA)
Une des plus célèbres estampes de Rousseaux : le portrait de la Marquise de Sévigné, gravé en 1874 au burin, d'après un pastel de Robert Nanteuil vers 1670, chalcographie du Louvre (tirage de l’ENSBA) / in peccadille.net

Emile Rousseaux, copie d'un détail d'estampe, musée Boucher-de-Perthes / Photo YF
Emile Rousseaux, copie d'un détail d'estampe, musée Boucher-de-Perthes / Photo YF

      Autre mystère ! On constate sur le premier tirage retrouvé que la draperie est totalement vide. Que sont devenus les éléments détectés sur le cuivre ?

     Ce n'est que le jour de la conférence qu'une nouvelle trouvaille vient nous éclairer : un deuxième tirage de Rousseaux, copie d'un autre  détail d'une estampe du XVIIe siècle.

     Le graveur avait commencé à esquisser une deuxième étude sur la grande plaque.


Illustration extraite du livret d'accompagnement adulte à l'oeuvre du mois de février 2016 / Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville
Illustration extraite du livret d'accompagnement adulte à l'oeuvre du mois de février 2016 / Musée Boucher-de-Perthes, Abbeville

 

       Après avoir expliqué son travail de recherche sur l'origine de la matrice de cuivre et sur l’œuvre du graveur abbevillois Émile Rousseaux, la conférencière a évoqué l'histoire de la gravure et décrit les techniques de l'estampe en taille douce, de la matrice au tirage papier : outils et savoir-faire. A ce propos consultez le livret d'accompagnement édité à cet occasion par le musée.

      La verve de l'intervenante, ses anecdotes, la clarté de ses explications nous font espérer que Mme Jagerschmidt lui confiera bientôt un autre sujet d'étude.

 

En savoir plus sur l'impression d'une estampe : page peccadille.net/chalcographie.

 

Suivre l'actualité du site de Johanna Daniel : Orion en aéroplane - Blog culturel

 

Faites connaissance avec la technique de l'estampe en lisant l'article "L'impression d'une estampe" sur le blog de Johanna Daniel : "Peccadille.net".

 

A lire aussi sur ce blog l'article "La gravure à Abbeville"

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Abraham Bosse, L'atelier du graveur (détail), eau forte, 1643, BNF, Gallica / in livret adulte Musée B-d-P
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Burin et plaque de cuivre / Photo Halvard
Burin et plaque de cuivre / Photo Halvard

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